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PHILOSPARTACUS
26 mars 2013

Prolégomènes à l’apolitisme d’Epicure

La question de l’apolitisme, ou abstention politique d’Epicure a suscité depuis la Grèce hellénistique bien de railleries de la part des écoles adverses[1], et des quolibets sur sa doctrine d’Epicure. Il nous semble que sur la question de son abstention politique, toutes les voies n’ont pas été explorées, car il y a eu plus d’attaques contre son apolitisme, que de volonté de comprendre son abstention politique en cette période de déliquescence des institutions démocratiques et de la guerre des diadoques (les successeurs d’Alexandre le Grand). D’où la nécessité de recorriger notre regard : parle-t-on vraiment bien de l’apolitisme d’Epicure quand on se fie stricto sensu aux doutes, critiques et interprétations tendancieuses de Cicéron ou de Plutarque ?

Si depuis l’Apologie de Socrate l’abstention politique de Socrate est notoirement aisé à saisir, à cause que la Divinité[2] s’oppose à son action politique ; en revanche celle d’Epicure est loin d’être obvie, car la doctrine d’épicurienne a été discréditée par ses détracteurs de l’époque, et des siècles après par Cicéron et Plutarque, les deux chantres de l’Inquisition épicurienne.

Aujourd’hui où quasiment tout le monde s’intéresse à la politique _ la participation par exemple de plus en plus forte des Français aux élections présidentielles en est la parfaite illustration _, revenir à un terme tel que l’apolitisme[3] peut paraître comme une réflexion anachronique, à contre-courant de la réalité. C’est un truisme que la  politique est devenue l’affaire de tout le monde, et les affaires de tout le monde sont devenues des affaires politiques.  Mais pour bien comprendre la société d’aujourd’hui et sa politique ne faudrait-il pas mieux aller chercher ce que les anciens Grecs ont dit sur la politique ? L’apolitisme d’Epicure peut se comprendre dans cette optique comme un tournant « historial » pris par le philosophe du Jardin dans le contexte général de la politique classique grecque. Platon et Aristote, les deux figures emblématiques de la philosophie politique antique ont amplement disserté sur cette notion de politique, ou ce qui pourrait revenir au même : sur l’art politique.

Au rebours de ses devanciers, Epicure fera la politique à sa manière ; car en établissant le Jardin (son école) vers 306 av. J.-C en banlieue d’Athènes, le philosophe du Jardin va rendre possible une vie philosophique, une éthique de vie (ars vivendi) loin de la cité politique. Par son apolitisme/abstention politique, c’est en vérité toute une communauté qui prend parti pour faire « sécession ». Dans le contexte de la Grèce du IVe-IIIe Siècle av. J.-C, communément appelée période hellénistique[4], il n’était pas paradoxal d’être apolitique, comme cela pourrait susciter de l’aversion chez Cicéron, ou Plutarque pour des raisons personnelles et superficielles. A l’époque hellénistique, le rapport du citoyen à la politique a une autre résonance ; dans l’exacte mesure où les épicuriens furent par leur mode de vie, les premiers à se désengager des affaires publiques, pour se constituer en tant que communauté de vie autonome et indépendante. Ce désengagement ou ce que certains appellent un éloignement ou un retrait, est un acte politique fondateur et historique. Rarement en effet, la philosophie politique antique fut intéressée par la question : qu’est-ce qu’être apolitique ? Y a-t-il seulement une plus-value à être apolitique ?

Paul Veyne dans l’excellent ouvrage de Colette Lazam, Sénèque, De la tranquillité de l’âme fait remarquer que pour la pensée antique, faire de la politique signifie : « Revêtir des fonctions publiques, accepter des postes officiels dans la cité ou dans l’administration impériale, devenir chef des pompiers, conseiller municipal, organisateur des jeux olympiques, colonel, juge, gouverneur de province ou, comme Marc-Aurèle, empereur, et remplir cette fonction conformément aux devoirs de la charge »[5]. Autrement dit, dans le contexte grec jusqu’à l’empire romain, faire de la politique, est surtout assorti de « rivalité de pouvoir entre chefs bien-aimés suivis chacun d’un chœur de partisans qui acclament celui qu’ils aiment et conspuent le rival. »[6].

De fait, lorsque la philosophie politique depuis Platon jusqu’à Aristote s’interroge sur la nature et les conditions du « meilleur régime », sur la définition et la réalisation d’un ordre politique juste et bon, Épicure par son apolitisme se démarque un tant soit peu d’un tel dessein_ ce n’était pas urgent, ni le kairos _. Son apolitisme se souciera ainsi que nous le verrons de sauver prioritairement les âmes de ses amis, de ses disciples, et de ses concitoyens qui veulent être sauvés, afin qu’ils atteignent le meilleur des biens qu’est la paix de l’âme (l’ataraxie). C’est cette attitude qui valut au philosophe du Jardin les critiques les plus acerbes. C’est raison aussi sans doute pour laquelle nous ne trouvons pas dans ses pensées, nulle trace d’une quelconque théorie de la constitution. Le trait particulier de son apolitisme réside dans le fait que pour la première fois dans l’histoire de la cité grecque, un philosophe qui néglige les affaires publiques revendique la sécurité et le respect des lois établies.

Pour André-Jean Voelke, il n’est pas étonnant que le plus célèbre des écrits d’Épicure, à savoir Lettre à Ménécée s’ouvre justement par cette exhortation à se préoccuper constamment de la santé de l’âme au détriment des affaires publiques. En d'autres termes, toute la lourde entreprise (task) que le Jardin va assumer, tant du point de vue de la foule des insensés, du politique _ la régence despotique de Démétrios Poliorcète _ que des écoles adverses qui ne tarissaient pas de critiques cinglantes vis-à-vis de son mépris de la politique, vise en dernière instance à assurer la santé de l’âme (ta kata psuchên hugiainon), c’est-à-dire l’ataraxie, dont il parlera au paragraphe 128 de la Lettre à Ménécée ; dans la maxime XXXIX ; dans Lettre à Hérodote (§§81-82). Mieux, c’est dans la sentence 54[7] que le philosophe du Jardin va montrer que la philosophie, en tant qu’activité (au sens médical du terme) est inséparable de la santé de l’âme. Cette notion d’absence de trouble (ataraxie) est centrale dans sa doctrine eudémoniste (eudaimonia), car la métaphore même du Jardin recouvre à nos yeux, cette recherche de la paix, de la sécurité[8], et du bonheur loin de la vie troublante de la politique. C’est pourquoi le vers 1 du livre II du De la Nature, de Lucrèce exprime bien cette aspiration de l’épicurien à la suavité[9] des régions éthérées que seul peut procurer l’abstention politique.

Aborder dès lors la thématique de l’apolitisme du philosophe du Jardin, c’est introduire par là le rapport on ne peut plus consubstantiel entre la réflexion morale (éthique) et la politique, qui caractérise toute zététique du souverain bien. Mais dans la démarche de l’école du Jardin, cette zététique concerne la recherche et l’effectuation de l’ataraxie[10]. Ce thème réintroduit encore une fois, la question cruciale de la pérennité des institutions politiques (politeiai), et le souci de l’ordre sociopolitique qui caractérisent toute réflexion sérieuse sur la politique.

Parler de philosophie politique à travers l’apolitisme d’Epicure peut dès l’abord froissé plus d’un esprit non habitué à cette rubrique du droit et du politique dans l’épicurisme. Or, à voir rigoureusement les choses, l'abstention politique du philosophe du Jardin se situe dans cette histoire sui generis de la Grèce du IVe-IIIe siècle av J.-C qui a ébranlé tous les fondements de la cité-Etat ; et au vu de l’ampleur de la corruption des mœurs, de l’injustice et de l’insécurité qu’elle a concourues à ériger, cette posture politique d’Epicure à travers son « vivre caché », peut être considérée comme une remise en cause des institutions en place.

Si le mot de Plutarque à l’endroit d’Epicure est fondé, en ce que le philosophe du Jardin s’est toujours « prétendu » sage, il nous semble que ce n’est pas sans raison apparente, car Epicure fut très tôt imprégné de cette histoire de la philosophie des anciens, des Présocratiques jusqu'à ses devanciers les plus immédiats: Platon et Aristote, dont certains sans conteste, ont influencé consciemment ou inconsciemment la pensée politique d’Épicure. Selon Benjamin Farrington, pour mieux apprécier l’apolitisme d’Epicure, il faut le projeter dans le rapport entre le Jardin et l’Académie. C’est raison pour laquelle Benjamin Farrington peut dire : « L’attitude négative d’Epicure à l’égard du politique, trouve sa source dans l’Académie. Epicure a édifié ses réflexions sur les questions soulevées dans cette école. L’Académie est le milieu contre lequel nous devons situer le Jardin[11] ». Comme les anciens sages, Epicure a essayé vraisemblablement de faire une refonte des mentalités de l’époque, extrêmement malades et corrompues. Plus exactement dans sa doctrine du droit (maximes sur le droit), le philosophe du Jardin plaide pour une plus grande justice sociale dans sa société. Pour ce faire, Epicure a proposé des moyens pour dépasser la superstition (déisidaimonia) _ la croyance des faux dieux _ ; il s’est échiné à expliquer à l’attention de la foule les causes des phénomènes naturels et célestes (Cf. Lettres à Hérodote et à Pythoclès) ; il a par ailleurs exhorté ses concitoyens à éviter les mauvaises conduites relativement à la jouissance des biens superfétatoires. Bref, Epicure a été aux yeux de son disciple fanatique, Lucrèce, cet Héraclès qui inventa cette science nouvelle appelée « Sagesse » ; qui a permis par son courage de purifier le ciel de ses divinités. Aussi est-ce raison pour laquelle aux yeux de ses disciples, le philosophe du Jardin est indéniablement le Dieu véritable, « tel un dieu parmi les mortels », le héros, et le sage par excellence à l’instar des sept sages qui ont inventé les vertus propres du citoyen. Et de l’avis de Diogène le doxographe, Epicure fut un autodidacte qui a lu foule de penseurs, qui a voyagé beaucoup, et a été un écrivain prolixe.

Toutefois, ce qu’Épicure va mettre en évidence par son retrait (sécession) de la cité politique, c’est ce que nous pouvons légitimement appeler une médication par rapport à la situation de désarroi, d’ « anomia » qui prévalait à l’époque. Il fut donc par son attitude, partisan à distance pour une refonte de toute la vie sociale, des institutions politiques pour les organiser conformément à ce qu’il affirme dans les maximes XXXI à XXXVIII : « le juste » et « l’utile », formules qui traduisent fondamentalement son aspiration pour une société et une justice plus égalitaires entre les citoyens. Dans la perspective d’Epicure, il apparaît en effet qu’on ne peut pas mériter le titre de citoyen (politês) si on ne respecte pas les lois qui sont les garde-fous de l’ordre et de la sécurité pour toute cité bien constituée.

 A la vérité, aux yeux d’Epicure, la faillite des institutions et le comportement licencieux, voire irrévérencieux de la foule ont ouvert la boîte de pandore de toutes les passions et l’hybris (la démesure) : les rapports humains ont manqué de cette véritable altérité dont André-Jean Voelke a parlé dans son excellent ouvrage Les Rapports avec autrui dans la philosophie grecque. Ce qu’il fut aisé d’observer à l’époque hellénistique, ce furent des rapports caractérisés par la violence, l’arbitraire, la ruse, la corruption, l’injustice, la guerre entre diadoques. Epicure a proposé tout en enseignant sa doctrine à distance, des maximes et des sentences à l’endroit des institutions et de la foule, car ce qu’il enseignait dans le Jardin était aussi connu de ses adversaires et de la foule, c’est-à-dire à la fois les puissants, les grands de cité, les chefs militaires qui cherchent depuis la disparition d’Alexandre le Grand à assouvir des ambitions personnelles.

C’est donc implicitement, un procès qu’Epicure fait à l’ensemble de la cité politique qui se comporte mal et vit dans le désarroi le plus complet. Dans la même démarche, il s’en prend aux institutions, et en l’occurrence aux nouveaux maîtres de la polis athénienne : les Antigonides (Antigone le Borgne et son fils Démétrios Poliorcète), qui dans la gestion de la cité athénienne, n’appliquent pas le principe du juste et de l’égalité. C’est cette iniquité du droit qui ressort constamment dans ses maximes sur le droit. Car pour Epicure, la justice, cette norme commune et supérieure qu’il aime métaphoriquement traduire par « selon ce qui est commun », ou pour mieux dire, « le contrat » qui fonde le droit, dont la puissance est reconnue tant par les mages que les nomothètes anciens ; cette justice est bafouée par la foule et les nouveaux souverains de la polis athénienne. Or aux yeux du philosophe du Jardin, la justice (dikaiosûnè) n’étant pas rigoureusement appliquée, il ne pouvait pas s’ensuivre la bonne vie et la sécurité dans la vie extérieure.

La preuve de cette critique de la justice, fut donnée à Epicure par la mort injuste du sage Socrate, et de surcroît cette loi de l’ostracisme qui bannissait pour des motifs politiques des citoyens athéniens. Epicure savait cette page triste de la Grèce socratique. C’est pourquoi il ne fera pas de lutte frontale avec la foule et les institutions, mais préféra se retirer loin de la cité avec un groupe d’amis et de disciples dans le Jardin. En se voulant apolitique par son retrait de la cité, Epicure a mis en lumière la question éminemment cruciale des conditions du bien (du bonheur) dans la cité et de l’effectivité de la sécurité. Il mit en critique dans la même démarche l’éducation initiale des jeunes dirigeants sortis des mains des sophistes qui leur enseignaient la rhétorique, afin de pouvoir prendre le pouvoir ou de percer en politique. Bien parler à l’époque était en effet un excellent moyen d’arriver vite dans la sphère du pouvoir. Cette éducation politique des jeunes par les écoles platonicienne, aristotélicienne et des sophistes a lamentablement failli, dénuée aux yeux d’Epicure de valeurs morales, en l’occurrence cette formation civique et militaire (éphébie) dont devrait accomplir tout citoyen bien né.

Sur un plan politique, force est de le reconnaître, la défaite des Athéniens à Chéronée en 338 av. J.-C par Philippe II de Macédoine et son fils Alexandre le Grand, atteste du déficit de patriotisme des Athéniens, qui préfèrent plus recruter des mercenaires pour combattre l’ennemi, que de défendre leur propre cité. Depuis la guerre de Lamia (322 av. J.-C.) à laquelle Epicure avait participée, le constat est d’une claire évidence : il n’y a plus de gloire à se battre pour une cité qui traîne dans ses pantoufles. De fait, à partir de 330, après la défaite Chéronée, et celle de Lamia en 322, les cités grecques ne jouiront plus de leur indépendance en tant que polis, car dorénavant, des étrangers longtemps confondus aux Barbares, vont asservir les poleis grecques.

Après plusieurs années d’exil, Epicure reviendra s’installer à Athènes avec un noyau d’amis et de disciples, et ouvrir en 307/6 le Jardin, qui sera le bastion de l’épicurisme, et en même tant, l’adespotos (absence de maître), c’est-à-dire cette forme nouvelle de société politique : philiakratie, communément appelée la communauté des amis, qui est en réalité : un Etat dans un Etat ; afin de revendiquer politiquement à travers leur « vivre caché » (lâthé biôsas) la sécurité (asphaleia). Ne faut-il pas dès lors s’émanciper des vieux clichés sur l’abstention politique, et y voir par cette posture un véritable art politique dissimulé ?

En déménageant de Lampsaque avec ses amis pour s’installer à Athènes et fonder le Jardin, la démarche est déjà annoncée : une société des amis qui se veut initialement une communauté familiale et non politique exempt d’un quelconque système contraignant de lois.  D’où ici la précision capitale à faire hic et nunc du sens d’apolis donné par Tricot dans La Politique : « L’Apolis véritable est celui qui n’appartient à aucune cité par une propension naturelle et par un choix libre. »[12]. Ce sens doit se démarquer aussi de celui qui a été rejeté ou condamné à s’expatrier. Dans une approche moderne ou contemporaine de la notion, Louis Dumont dans son intéressant ouvrage : Essais sur l’individualisme, avance que l’apolitique peut être comparé à « l’homme-hors-du monde » en face de « l’individu dans le monde ». L’apolitique est donc dans cette approximation, le renonçant, l’ermite solitaire, ou celui qui peut se joindre à un groupe de collègues en renoncement sous l’autorité d’un maître renonçant, représentant une « discipline de libération » particulière. En ce sens, l’apolitisme d’Épicure peut se comprendre donc comme une attitude salvatrice, thérapeutique, car dans cette distanciation vis-à-vis du monde social, l’objectif est de préparer (paraskeuê) le disciple à atteindre l’ataraxie et le bonheur. Par cette démarche, l’apolitisme d’Epicure se différencie dès lors de l’individualisme au sens strict du terme, dans l’exacte mesure où l’apolitisme d’Epicure est à la fois un souci de soi et aussi de l’autre.

En partant toujours de l’ouvrage de Louis Dumont, il est loisible d’affirmer qu’après Platon et Aristote, le monde hellénistique a basculé dans l’individualisme « alors que la polis était considérée comme auto-suffisante chez Platon et Aristote, c’est maintenant l’individu qui est censé se suffire à lui-même »[13]. Il y a eu très plausiblement avec la période hellénistique inaugurée par les épicuriens, les cyniques et les stoïciens, une sorte de déconnexion d’avec le monde social, un désintérêt pour tout dire pour adopter ce qu’était la nouvelle mode philosophique : la renonciation, ou le souci de soi que Michel Foucault a si bien établi dans l’Herméneutique du sujet : « Ces écoles (épicurienne, cynique et du portique) enseignent la sagesse, et pour devenir sage il faut d’abord renoncer au monde. »[14]. Et pour le cas du philosophe du Jardin, la renonciation aux affaires publiques, y revient comme un leitmotiv. Cette nouvelle vie philosophie apparaît alors pour l’époque comme un renversement des forteresses des anciens maîtres de la philosophie antique : Platon et Aristote.

La communauté [politique] qu’Épicure a fondée sur la libre participation des individus ou des amis, peut être considérée véritablement comme l’archétype de la cité extérieure. Plus exactement, Epicure a concrétisé, objectivé l’utopie de la cité idéale de Platon. Pour le philosophe du Jardin ainsi qu’il est aisé de le comprendre, la société doit être fondée sur un « contrat », car à partir d’un tel contrat chacun saura l’utilité et l’avantage pour lesquels il contracte l’union. Partant de cette conception du « contrat », les amis de la communauté, dès cet instant sont considérés comme les vrais citoyens auxquels le philosophe du Jardin va inculquer les vraies valeurs requises pour être digne d’avoir le droit de cité. Epicure dans le Jardin a établi en fait la vraie communauté (koinonia) qui devrait être la transposition de la grande entité.

Ainsi au rebours de certains auteurs qui n’ont vu que hâtivement l’aspect rebelle du philosophe du Jardin, nous estimons qu’Épicure par son apolitisme qui est aussi un choix rigoureusement politique, n’est pas un brandon de la discorde, mais il essayé via son Jardin, de concrétiser le modèle d’une société parfaite où l’homme est la mesure de toute chose, où il peut réaliser sa vraie finalité. Mieux, nous inclinons à croire qu’Épicure a reconstitué une ancienne tradition du chaos primordial, où les atomes étaient dispersés (spoiaden). Une manière de formuler également à l’encontre d’Aristote la thèse d’une société non naturelle des individus. La théorie du clinamen qu’introduit son disciple Lucrèce dans la physique épicurienne vient en appui, pour asserter que même si les individus sont sociaux par définition, cette union ne se produit pas spontanément et naturellement ; car l’individu a cette liberté épicurienne, _ la liberté consubstantielle à l’individu-atome _ de se déconnecter de la société, de faire la déclinaison des atomes dans le vide, afin de pouvoir vivre libre au sens politique où il n’y a plus la contrainte des lois civiques, de la foule. Par cette autodétermination de l’individu, et de son choix libre d’adhérer à un mode vie propre, à l’instar de l’entité politique ; l’individu peut véritablement vivre en sécurité entouré d’amis, dans la paix tels des « dieux » épicuriens, loin des tourments de la politique. Et c’est en ce sens qu’Epicure dit si bien : « Si la sécurité du côté des hommes existe jusqu’à un certain point grâce à la puissance solidement assise et à la richesse, la sécurité la plus pure naît de la vie tranquille et à l’écart de la foule »[15] . En d’autres termes, ce que le philosophe du Jardin n’a pas consigné dans de grands traités, il le dit dans ses maximes et sentences en conseillant de s’abstenir de l’activité politique : « Il faut se libérer de la prison des occupations quotidiennes et des affaires publiques »[16]. Les critiques d’Epicure à l’endroit de la politique s’il faut les considérer comme telles, sont dirigées aussi à l’endroit des auteurs de codes, des grands législateurs, et contre les platoniciens et les aristotéliciens qui aspirent aux affaires politiques.

A l’examen, pour le philosophe du Jardin, la politique telle qu’elle se pratiquait dans cette Grèce du IVe-IIIe siècle av. J.-C prenait les allures d’une véritable servitude des ambitieux selon le sentiment de Geneviève Rodis-Lewis, en comparaison de l’idéal de la philosophie du Jardin qui prône une ascèse par rapport aux désirs vains tels que la possession du pouvoir, les richesses, les honneurs. De fait, cette  attitude critique vis-à-vis des institutions et de la foule, ne doit pas se comprendre comme un individualisme extrême ou une vie d’autarcie stricte qui frise le cynisme.

 Le philosophe du Jardin à l’image du sage Socrate respecte les lois et reconnaît leur utilité. Le sage sait que la loi est essentielle, vitale à la sécurité des hommes. C’est pourquoi l’apolitisme d’Epicure ne devrait pas être compris comme une réaction contre la loi, mais un retrait lucide de la communauté politique, notamment vis-à-vis de la foule dans laquelle on peut inclure les cyrénaïques, les cyniques, les sophistes, qui leurs conduites dans la polis, engendrent du désordre. Mais le grand désordre politique et social, fut l’œuvre de Démétrios Poliorcète et ses compagnons. Par leurs divers comportements délictueux et criminels dans la polis athénienne, ils ont engendré la délinquance, l’injustice, et l’insécurité dans la cité. Il sourd donc que pour le philosophe du Jardin, c’est la poursuite des désirs vains liés aux passions qui engendre des atteintes, des infractions contre la loi et les biens d’autrui. C’est pourquoi l’épicurien qui sait où se trouve le bien véritable s’efforcera autant que faire se peut de ne pas s’adonner à la politique ou d’envier les biens d’autrui. Mieux il choisira de « vivre caché » (lâthé biôsas), étant entendu que pour l’épicurien, il n'y a pas de sécurité du côté de la foule et des institutions.

Toutefois, il est pertinent de le souligner, Epicure dans l’histoire de la philosophie n’est pas le premier à adopter un apolitisme tranché vis-à-vis de l’activité politique. Une longue tradition philosophique a établi la grande vérité selon laquelle, le sage digne de ce nom ne doit pas se mêler de politique. Socrate par exemple ne se mêlait pas de politique au sens d’activité (energeia), mais passait son temps à « torpiller » ses concitoyens afin de leur faire prendre conscience de la futilité d’une existence consacrée à la jouissance des choses du monde sensible. Être apolitique, de ce point de vue ne signifie pas être hors-la-loi, ou un rebelle. Partant de cette considération, on est en droit d’avancer que l’apolitisme d’Épicure est fondamentalement socratique tout en étant dissimulé ; et de surcroît critique vis-à-vis de la situation politique de son époque. Plutarque lui-même qui ironise sur la devise des épicuriens, reconnaît après coup l’importance de ce choix existentiel et politique : « Epicure pense que ceux qui aiment honneurs et gloire ne doivent pas se reposer, mais, suivant leur nature, gouverner et s’occuper des affaires publiques »[17] .

Eu égard dès lors à ce qui est arrivé au sage Socrate, faut-il dignement et grandement accepter l’injustice des lois, ou refuser l’injustice des lois par un retrait prudent de la polis ? Autrement dit, comment espérer le bonheur au sens éthique et politique du terme, quand la loi est sous la coupe des flagorneurs et du despotisme des macédoniens? L’échec pour tout dire des institutions politiques de la Grèce du IVe-IIIe av. J.-C, laissées aux mains du roi Démétrios Poliorcète, ne relève-t-il pas simplement d’un déficit depatriotisme et du déclin de la vie politique classique? Le choix précipité des Athéniens d’ériger Démétrios Poliorcète comme roi, ne traduit-il pas suffisamment du degré d'abâtardissement des Athéniens? Mieux, et pour forcer le parallèle, l’expérience politique « sordide » et mercantile du stoïcien Sénèque dans la gestion du pouvoir, ne légitime-t-elle pas à tous égards un tel apolitisme ? En d’autres termes, si nous voudrions montrer la plus-value et la justesse de l’apolitisme d’Epicure, ne faudrait-il pas le confronter avec la pratique politique des stoïciens ? Ce regard croisé avec la politique stoïcienne serait grandement utile, car il nous permettra d’atteindre notre but. Aussi faudrait-il rattacher à cet examen le jugement de l’empereur Marc-Aurèle qui reconnaissait implicitement durant son règne la valeur de l’abstention pour celui qui recherche l’ataraxie.    

En proposant l’apolitisme d’Épicure, à la suite de la « culture de l’amitié dans le Jardin d’Epicure[18] », nous avons essayé de nous couper de cette tradition de la philosophie heideggérienne qui depuis la fin de la seconde guerre souligne Robert Misrahi, a fait de l’angoisse la matrice de l’existence. Or Epicure justement en face de l’existence angoissante de son époque a proposé une morale du bonheur, une philosophie salvatrice et curative. Au rebours donc de certaines philosophies existentialistes qui défendent l’impossibilité du bonheur, nous pensons que le bonheur loin d’être un absolu inaccessible, est au contraire inscrit pour les épicuriens dans l’instant présent, dans notre choix existentiel. Il est en effet clair pour les épicuriens que celui qui n’est pas arrivé à cette compréhension du bonheur dans le cadre fixé par le philosophe du Jardin, dans sa simplicité, sa sobriété, ne peut que vivre dans l’insatisfaction perpétuelle, d’où inéluctablement l’angoisse.

Par cette démarche, l’épicurisme tout naturellement se démarque de toutes les philosophies qui tentent de faire « différer » le bonheur dans un monde illusoire, ou qui se résignent à son inaccessibilité ici bas. C’est raison pour laquelle, le philosophe du Jardin dans ses maximes sur le droit exhorte le politique, le monarque, ou quiconque qui veut diriger honnêtement, et avec justice, de garantir primordialement dans la vie extérieure : la tranquillité et la sécurité, qui sont les conditions sine qua non, du bien-vivre (eu zen) aristotélicien, que nous comprenons dans le cadre du Jardin à travers les expressions de « vivre plaisamment », « vivre intelligemment », « vivre sagement », qui sont autant de modalités de la vie heureuse épicurienne. Autrement dit, il est du devoir du politique de créer les conditions de la vie heureuse, et non d’attendre une hypothétique intervention des dieux. Pour le philosophe du Jardin, la Divinité n’a rien à voir dans l’attribution du bonheur. Mieux, dans son matérialisme, ou atomisme, l’âme est mortelle et par conséquent, c’est dès ici bas que l’individu doit faire son bonheur.  De fait, pour Epicure c’est le fait même de « différer » le bonheur qui engendre l’angoisse. Est-ce raison pour laquelle que la philosophie épicurienne essaie justement de dissiper, ou d’extirper des consciences les peurs à propos des dieux et des phénomènes céleste, la crainte de l’avenir, de la mort, en cette période hellénistique de la fin de la politeia démocratique, et de les protéger notamment de l’insécurité liée à la guerre des généraux d’Alexandre le Grand.

 De ces considérations, on est donc porter à admettre que l’épicurisme au IVe-IIIe ne fut pas une philosophie indifférente au sort de la polis. A l’observation, force est même de reconnaître que les épicuriens tout comme les autres Athéniens de la grande polis, furent inquiets par les sièges intempestifs contre la polis par Cassandre et le blocus d’Athènes par Démétrios Poliorcète. Par conséquent, il est faux de croire qu’en cette période de grande détresse et d’intranquillité politique que le Jardin a adopté une posture d’indifférence, ou d’impassibilité vis-à-vis des événements politiques. Il nous semble honnête d’avancer que les épicuriens revendiquaient la sécurité à la fois pour leur communauté et pour l’entité politique. D’où leur condamnation de la guerre et des séditions (staseis) à travers leur abstention politique. La non-implication des épicuriens aux affaires publiques, n’est pas une négation de la polis, mais un refus de la politique, entendue alors comme lutte de factions (agôn), tracas, intranquillité. Nous savons depuis l’excellent ouvrage de Paul Demont, La Cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, que les épicuriens à travers leur vie apolitique, ne sont pas des brandons de la discorde, mais des partisans de la tranquillité (hésychia) et qui refusent les intrigues (apragmosynè).

Mais, bien qu’il arrive à Epicure d’identifier comme le pense Paul Demont, tranquillité (hésychia) et asphaleia, contextuellement, les deux termes se séparent. Dans l’exacte mesure où asphaleia n’a plus le sens sédimenté propre à hésychia. On peut concéder pour parler comme J. Benoist qu’il y a « ressemblance sans égalité ». L’expression « fuir les affaires publiques » (polypragmosynè) remonte à une longue tradition qu’a si bien montré Paul Demont. Toutefois, pendant la période hellénistique l’idéal de tranquillité a changé au profit de l’asphaleia. Car à l’époque d’Epicure, du fait de l’insécurité politique permanente : menaces de siège contre d’Athènes, cette situation ne peut que préoccuper le philosophe du Jardin, et susciter cette zététique de la sécurité. On pourrait penser mathématiquement, que tranquillité ne va pas sans sécurité. En partant de la guerre des rois, et des actions nuisibles perpétrées par Démétrios Poliorcète dans la cité athénienne et dans le temple de la vierge Athéna, il est loisible d’accorder au rebours de Paul Demont, un nouveau sens à la notion de tranquillité épicurienne qui culmine dans la notion d’asphaleia. C’est raison pour laquelle, pour cette période, il est judicieux de voir à travers cette abstention politique d’Epicure, la revendication d’une « sécurité totale » pour la cité et les autres Etats. Par cette démarche, l’apolitisme d’Epicure cadre bien avec la description du sage que nous propose Bernard Groethuysen : « Seul le sage dit-il, ne cesse d’avoir le tout constamment présent à l’esprit, n’oublie jamais le monde, pense et agit, par rapport au cosmos [...] Le sage fait partie du monde (même par son Apolitisme), il est cosmique [...]. »[19].

 En fonction de ce qui précède, il sera alors aisé de voir avec des yeux nouveaux, en quoi justement le retrait des affaires publiques du philosophe Epicure, est aux antipodes du retrait du stoïcien Sénèque. En d’autres termes, comment est-il possible de concilier en cette période d’intranquillité et d’insécurité liées aux guerres des diadoques, zététique de l’ataraxie et vie politique ?

Plutarque a rapporté une idée grave de sens, malgré les dérisions dont elle a été l’objet de la part des adversaires du Jardin ; idée qui peut se formuler ainsi qu’il suit : « Est-il bon de vivre caché » ?

Dans l'imaginaire collectif, se réaliser socialement et matériellement, c’est d’abord s’insérer dans l’activité politique ou comme diraient les modernes, participer à la vie politique. L’activité politique hier comme aujourd’hui constitue pour certains individus, la voie royale pour s’enrichir, satisfaire des ambitions démesurées. Or, ainsi que l'a si bien vu et compris Epicure, l'activité politique est dans la pratique émaillée de ruses, d’intrigues, de complots, d’intrigues, de coups bas, d’assassinats, de mensonges (au peuple) ; bref de turpitudes de tous genres. Dans une telle optique, comment un individu qui aspire au souverain bien (l’ataraxie) peut-il s’intéresser à une telle activité sordide? A fortiori un sage digne de ce nom ?

Pour Epicure ainsi que nous l’a rapporté Geneviève Rodis-Lewis, le sage doit s’isoler de la politique, il doit en fait utiliser sa raison, ou pour mieux dire, user de discernement entre ce qui est bien (le désirable) et ce qu’il faut fuir. D’un mot, Epicure exhorte à dépasser tout ce qui constitue une cause de souffrance ou de trouble de l’âme, dont en l’espèce, les tracas du pouvoir. Geneviève Rodis-Lewis soutient que : « Le sage épicurien se tient isolé, indépendant comme un atome à l’écart de la foule »[20]. Relativement à nouveau contexte politique et aux maux qui l’assaillaient, les divers régimes qu’Athènes en particulier a connus, n’ont pas pu apporter des solutions ou des réponses appropriées pour ramener l’ordre et la sécurité. Dès lors, pour Epicure, c’est la notion même de bonheur[21] qui est à relativiser. L’isolement comparé à la vie publique, a cette merveilleusement vertu de procurer la paix intérieure par le truchement des exercices dits « spirituels ». Pierre Hadot dans son intéressant ouvrage : Exercices spirituels et philosophie antique faisait bien voir que les écoles épicuriennes et stoïciennes pratiquaient ce qu’il appelait des « exercices spirituels », ou ce qui revient au même au sens grec du terme « d’askesis ». Cette pratique peut se vérifier dans le Jardin, à travers la Sentence 41 qui exprime bien le fait que la philosophie dans le cadre du Jardin est un art de vivre, un style de vie qui fait constamment recours à l’usage des maximes, des sentences et des épitomés que les disciples doivent mémoriser et se rappeler constamment dans toutes les occurrences de la vie.

Ces exercices qui sont nombreux dans les Lettres d’Epicure sont destinés à transformer la personnalité du disciple, en vue de l’acheminer progressivement à l’ataraxie. Ainsi, le Jardin contrairement à l’espace publique offre le cadre idéal pour la contemplation du monde, pour la dilatation de leur imagination au contact de cet univers qui faisait peur, mais ouvert à l’infini. C’est cette méditation joyeuse sur l’univers d’après Lucrèce qui crée le plaisir pur, le plaisir spirituel de qualité unique pour reprendre à notre compte une formule de Pierre Hadot. Partant d’un texte de Lucrèce du rerum natura (III, 16-30), Pierre Hadot souligne bien que la physique (physiologia) était « d’une part un des plaisirs du sage : elle permettait une vision imaginative grandiose de la formation et de la dissolution de l’univers dans l’infinité de l’espace. D’autre part, elle met bien en valeur l’un des sentiments les plus fondamentaux de l’expérience humaine, l’horror devant l’énigme de la nature »[22].

De fait, au rebours des stoïciens qui s’attellent avec une vigilance accrue et constante à guérir l’âme par un exercice à se tendre (tonos, tension), les épicuriens eux exercent l’âme à se détendre, à jouir de l’instant présent et aussi par la remémoration des souvenirs passés. Pour les épicuriens souligne E. Hoffmann rapporté par Pierre Hadot : « Il faut d’abord bien réaliser que l’existence, inexorablement, n’a lieu qu’une fois, pour pouvoir ensuite la fêter dans ce qu’elle a d’irremplaçable et d’unique »[23]. Par cette lumière, nous pouvons comprendre que pour Epicure si la philosophie est entendue comme « amour de la sagesse » (philo-sophie), elle est surtout et essentiellement une activité qui procure un plaisir pur, comparée à la vie politique.

Si nous nous inscrivons à la définition que donne Pierre Hadot, nous dirons que : « La sagesse était un mode de vie qui apportait la tranquillité d’âme (l’ataraxie), la liberté intérieure (autarkeia), la conscience cosmique »[24]. Autrement dit, Epicure en se repliant dans son Jardin, n’est pas un hérétique, mais il s’inscrit bien fidèlement à cette conception traditionnelle de la philosophie comme « thérapeutique de l’âme » destinée à sauver les hommes de leurs angoisses, de leurs vaines opinions. Plus exactement, le philosophe du Jardin a essayé de reproposer à sa façon, une manière authentique de bien-vivre, réellement et philosophiquement. Cet ars vivendi toutefois, ne les empêche pas de s’intéresser à distance à la vie politique, à la cité. Et à ce niveau de notre analyse, nous souscrivons entièrement aux propos de Pierre Hadot qui a bien fait voir que leur retraite ne les condamne pas à « ne pas agir sur les cités, à transformer la société, à servir leurs citoyens qui leur ont souvent décerné des éloges dont témoignent les inscriptions. Les conceptions politiques ont pu être différentes selon les écoles, mais le souci d’exercer une influence dans la cité ou dans l’Etat, sur le roi, sur l’empereur, est toujours resté constant »[25]. Autrement dit, le philosophe du Jardin n’a jamais décrété une « fatwa islamique » pour décourager les individus à s’occuper des affaires publiques. La réserve d’Epicure est seulement qu’ils prennent conscience qu’il n’y a pas de bonheur ni de sécurité du côté des affaires publiques et du pouvoir. Au nom de l’ataraxie qui est une composante essentielle du bonheur épicurien, le philosophe du Jardin exhorte en l’occurrence le philosophe de fuir l’activité politique, même s’il peut reconnaître que le sage « à l’occasion, pourra obéir au monarque »[26]. Aussi, afin que notre analyse soit complète, et convaincante, nous nous attèlerons à montrer par la participation de Sénèque au pouvoir, que la doctrine stoïcienne bien qu’elle soit rigoureuse, il n’en demeure pas moins que les réalités du pouvoir, ses tracas et ses « choses sordides » mettent à rudes épreuves l’aplomb du sage stoïcien.

José Kany-Turpin dans son Lucrèce, De la nature, nous propose un tableau assez édifiant de la situation de Rome à laquelle Lucrèce a été témoin, qui peut avoir un curieux parallèle avec la Grèce du IVe-IIIe siècle av. J.C : « Rome entre 90-88 a connu des guerres sociales, des rivalités criminelles, répressions de peuples alliés de Rome (socii) dont l’aristocratie dirigeante refusait les revendications ; massacres de Marius ; proscriptions et dictature de Sylla (82-79) : dés 88, il était entré avec son armée dans Rome et avait fait assassiner un grand nombre de ses adversaires ; révoltes de Spartacus, qui entraîna avec lui des milliers d’esclaves (73-71) ; guerres en Orient : après plusieurs expéditions très meurtrières et coûteuses, elle s’acheva par la victoire de Pompée sur Mithridate en 63 ; menées subversives de Catilina (63-62) ; guerre civile résultant des ambitions des triumvirs : plusieurs milliers d’hommes tués sur le forum durant un après-midi d’émeute »[27].

            Les stoïciens en prônant les valeurs de courage, de devoir, de loyauté et de modération, avaient eu une grande audience dans l’empire romain. Mais c’est aussi sous le couvert des mêmes valeurs, au nom de leur idéal de virtus (vertu), qu’ils occasionnaient la dégradation de l’empire : paupérisation des paysans du fait de la guerre et de la passion d’enrichissement de la classe dirigeante. Lucrèce disait dans le chant III qu’ : « Ils versent alors le sang de leurs concitoyens pour enfler leurs richesses ; ils doublent leur fortune avec avidité, accumulant meurtre sur meurtre ; cruellement ils se réjouissent des tristes funérailles d’un frère, et la table de leurs proches est un objet de haine et d’effroi »[28]. Si nous nous en tenons aux propos même de Sérénus à Sénèque, il avance sans ambages les raisons qui ont déterminé son propre engagement politique : « J’ai résolu de suivre la mâle énergie de nos maximes et de me mêler à la vie publique ; je décide de rechercher les honneurs et les faisceaux, non certes que la pourpre ou les baguettes du licteur me séduisent, mais pour être en mesure de mieux servir mes amis et mes proches et tous mes concitoyens, et finalement l’humanité entière : avec une ardeur de novice je m’attache à suivre Zénon, Cléanthe, Chrysippe, dont aucun, à vrai dire, n’a pris part aux affaires publiques, mais qui tous y convient leurs disciples »[29]. Nous observons par ce passage, que les disciples stoïciens, dans la pratique, on vaille à partir avec les enseignements de leurs maîtres. Sénèque brille par cette palinodie.

Sénèque que nous avons utilement choisi, à ce niveau de notre analyse permettra de voir que dans la recherche du souverain bien que les stoïciens placent dans la vertu, ils n’excluent pas la recherche de la richesse et des honneurs. Sénèque malgré son adhésion à la philosophie du Portique se donne des libertés pour apprécier certains faits de son propre point de vue ; et c’est lorsqu’il opine librement qu’il devient consciemment ou inconsciemment épicurien. Car pendant sa retraite du pouvoir, ses réflexions rejoignent sans coup férir la critique du philosophe du Jardin sur les biens superfétatoires du pouvoir. En effet, Sénèque n’hésite pas à caractériser tous ceux qui courent vers le pouvoir, les richesses, qui flattent le crédit, ou louent l’éloquence, non de « fous », mais d’ennemis, au sens où ils ne sont pas rigoureusement des amis dans ces formes de recherches. L’expérience du pouvoir l’habilite à parler en toute vérité. L’envie des choses vaines, avance-t-il, les pousse inéluctablement à être jaloux les uns des autres, d’où tous les assassinats qui ont émaillé son ministère, les délations, etc.

Ainsi lorsqu’Epicure insiste sur la connaissance préalable de la nature (phusis) afin de dissiper les causes du trouble de l’âme, qui est d’abord la première thérapie de l’âme, avec Sénèque au sortir de cette vie politique, nous sentons du doigt l’importance de la connaissance de la physique même dans les propos de ce dernier quand il souligne : « une vie heureuse est donc celle qui s’accorde avec sa nature et on ne peut y parvenir que si l’âme est d’abord saine et en possession perpétuelle de cet état de santé, puis courageuse et énergique, ensuite très belle et patiente, prête à tout événement, soucieuse sans inquiétude du corps et de ce qui le concerne, industrieuse enfin à se procurer d’autres avantages qui ornent la vie sans en admirer aucun, prête à user des dons de la fortune non à s’y asservir. »[30]. Cette pensée à la prendre dans chaque interstice ressemble à tout point de vue aux pensées du philosophe du Jardin du premier paragraphe de la Lettre à Ménécée. C’est pourquoi nous pouvons entrevoir subtilement la manière très politicienne par laquelle Sénèque procède pour donner son point de vue sur le bonheur sans heurter ni les épicuriens ni les stoïciens, lorsqu’il soutient en effet que : « Qu’est-ce qui empêche en effet de dire que le bonheur, c’est une âme libre, élevée, intrépide, constante, inaccessible à la crainte comme au désir, pour qui le seul bien est la beauté morale, le seul mal, l’avilissement, et tout le reste un amas de choses incapables d’enlever ou d’ajouter rien au bonheur, allant et venant sans accroître ni diminuer le souverain bien. »[31]. Autrement dit, pour Sénèque le bonheur consiste en cette liberté retrouvée grâce à notre effort personnel de nous détacher des choses qui occasionnent des craintes, des terreurs, et d’adopter cette indifférence ou impassibilité vis-à-vis des coups du sort. C’est pourquoi hic et nunc, les propos de Sénèque sont fortement élogieux à l’endroit du philosophe du Jardin lorsqu’il affirme que : « Ce n’est pas Epicure qui les pousse à la débauche, mais adonnés au vice, ils cachent leur débauche dans le sein de la philosophie, et ils courent à l’envi où ils entendent dire qu’on fait l’éloge de la volupté »[32]. Autrement dit, pour bien comprendre le sens de la vie bienheureuse chez Epicure, Sénèque à nos yeux a rendu les pendules à l’heure en donnant le sens cohérent et correct de la volupté chez Epicure, car il soutient que : « c’est une volupté sobre et sèche » (Ibid.). Comprendre ainsi la volupté, c’est accepter aussi avec Sénèque que « les préceptes d’Epicure sont vénérables, droits et, pour peu qu’on y regarde de près, sévères […]. » (Ibid.). Il est donc clair partant de cette éthique rigoriste, que l’ataraxie épicurienne qui fait fi des biens procurés par la vie politique, n’est pas un leurre. Si nous nous inscrivons toujours dans la lucidité retrouvée de Sénèque, il faut considérer cette ataraxie épicurienne comme un moyen de parvenir à la vraie félicité. C’est donc trop se méprendre de l’hédonisme d’Epicure que de le réduire à une philosophie de la volupté. Nous inclinons à croire que l’ataraxie conduite et réalisée dans les conditions préconisées par le philosophe du Jardin, peut royalement conduire à un bonheur total ainsi qu’il l’atteste dans sa dernière lettre à Idoménée : « C’est à l’heureux et dernier jour de ma vie que je t’écris cette lettre. Mes intestins et ma vessie me causent une souffrance inexprimable. Mais pour compenser toutes ces douleurs, je puise une grande joie dans le souvenir qui restera de mes ouvrages et de mes discours. »[33].

L’épicurien authentique du Jardin, n’est pas le disciple d’Horace qui donne tout son assentiment au carpe diem : « cueille l’aujourd’hui, sans te fier à demain », et qui invite concrètement à vivre l’instant présent sans se soucier de demain. Pour un épicurien orthodoxe cette formule peut être interprétée comme un appel à la volupté, à la jouissance excessive, qui est tout le contraire de la sagesse épicurienne qui prône la mesure. Et à ce niveau également, Sénèque est serein pour affirmer à l’encontre de cette fausse opinion que : « Quiconque appelle bonheur l’absolue oisiveté et les satisfactions alternées de l’estomac et de l’instinct sexuel cherche un bon garant d’une affaire mauvaise […]. »[34]. Autrement dit, Sénèque ici s’insurge en tant que stoïcien à cette caricature de mauvaise foi, qu’une certaine opinion se fait de la ‘‘secte d’Epicure’’, en la taxant de cercle de perdition. Toutefois, Sénèque dans De la vie heureuse, fait voir nonobstant la critique d’Epicure sur l’ incompatibilité entre ataraxie et vie politique, que la recherche de l’argent ou de la richesse, qui sont des biens que l’épicurien exhorte de fuir (à voile déployée), n’entame en rien la sérénité du sage stoïcien. Le secret de cette participation ou adhésion à la richesse réside dans l’exercice constant de la vertu. En effet, au milieu de la richesse, le stoïcien enseigne de ne pas fléchir, ni se laisser déprimer, mais d’user de tempérance, de discernement. Les richesses de ce point de vue, et surtout l’exercice du pouvoir qui permet son acquisition facile, ne sont pas des obstacles pour la tranquillité de l’âme. C’est pourquoi Sénèque peut affirmer : « Les richesses donnent au sage la même impression joyeuse qu’au navigateur un vent favorable ou qu’une belle journée, un lieu ensoleillé dans les froids de l’hiver. »[35]. De fait pour Sénèque, la richesse pour un stoïcien n’est pas une chose indifférente, mais il la classe parmi les avantages préférables.

Pour un stoïcien tel que Sénèque, il estime qu’il ne faut pas être prisonnier ou esclave des richesses, car elles sont justes des choses éphémères, et dans son vocabulaire, ce sont des « choses qui s’écoulent », aussi ne devrions-nous pas être tristes ou malheureux à l’idée de les perdre, ou quand elles viendraient à s’épuiser. Les richesses d’un mot, font partie des choses qui ne dépendent pas de nous ; raison pour laquelle, pour Sénèque, lorsqu’elles arrivent à finir, « elles n’emporteront qu’elles-mêmes ». Ainsi lorsqu’Epicure condamne la richesse en affirmant qu’ « aimer l’argent en enfreignant la justice est impie, sans l’enfreindre est laid : car il est malséant d’épargner sordidement, même en respectant la justice. »[36], Sénèque estime pour sa part, qu’une richesse gagnée honnêtement ne nuit pas à l’exercice de la sagesse. C’est pourquoi Sénèque soutient : « Le sage ne rejettera pas les faveurs de la fortune, son patrimoine honnêtement acquis ne lui inspirera ni vanité ni honte »[37]. En d’autres termes, pour Sénèque, la richesse n’est pas un bien, sinon, elle aurait transformé ceux qui les possèdent en gens de biens. Elle est juste utile, et apporte à la vie comme il le souligne « de grandes commodités. ».

Ainsi à en croire Sénèque, le sage peut vivre dans le luxe le plus raffiné, sans pour autant l’empêcher d’œuvrer dans la vertu. La richesse dit-on souvent nous écarte de la vertu, aveugle la raison et la conduite. C’est pourquoi dans cette optique, l’exercice de la vertu n’est pas chose aisée ; elle ne se donne pas sans quelques peines. La richesse pour celui qui est faible d’esprit, qui manque de tempérance, peut tomber dans l’illusion que la richesse peut tout. Or justement, pour Sénèque, le sage qui est parvenu à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, s’efforcera « à s’entraîner surtout à la pauvreté quand il se tient au sein de la richesse. »[38]. Autrement dit, le sage doit s’attendre au revers de la fortune. C’est pourquoi, il apprend bien et mieux à se suffire de ce qui est en son pouvoir, s’il veut vivre joyeux.

            Il appert donc que pour Sénèque, l’activité politique qui permet justement de se procurer la richesse, et d’autres privilèges matériels, n’est pas inséparable de la doctrine stoïcienne, même si par ailleurs, elle a des moments de grandeurs et de déclins. Nous sommes donc en droit d’admettre que le stoïcisme a seulement aidé Sénèque à supporter les affres de l’exercice du pouvoir, mais non pas à l’acheminer vers l’ataraxie.

Marc-Aurèle quant à lui, affirme qu’après des journées dures de campagnes militaires, il ne trouve le repos de l’âme qu’en s’adonnant à la lecture des philosophes et à des méditations personnelles. Or, faut-il convenir dans la perspective d’Epicure, qu’aussi longtemps que l’empereur Marc-Aurèle est dans le règne, qu’il assume les destinées de tout un empire, il lui est difficile de rester sans trouble, d’avoir constamment cette sérénité qui est le propre du philosophe Jardin. Le règne de l’empereur Marc-Aurèle, ainsi que nous le savons, a brillé par des guerres, des calamités, des révoltes de généraux, d’épidémies, etc. Bref, autant de souffrances (au sens épicurien), de troubles, pour qui recherche la paix de l’âme. De surcroît, lorsqu’on a fait la politique pour être destiné à l’exercice du pouvoir, il est difficile de se départir des honneurs, de la gloire, et des richesses. Depuis La République, de, nous savons que Platon avait rêvé de cette relation harmonieuse du philosophe avec le pouvoir ; mais rapport qui est fort difficile car par essence, dans l’exercice du pouvoir, il est difficile de ne pas commettre l’injustice (cf. l’anneau de Gygès). D’un mot, le sage tout comme l’homme ordinaire n’est pas à l’abri de la corruption du pouvoir, dans l’exacte mesure le pouvoir change la personnalité. Marc-Aurèle pendant son règne a effectivement essayé d’épandre sa bonté, sa justice, sa sagesse sur son peuple, d’améliorer le sort des esclaves et des gladiateurs, d’être tolérant, pardonneur ; mais devant certaines situations, il est obligé de sévir, de sortir le glaive, d’être comme les autres. La vertu stoïcienne qui dit en effet de respecter tout être comme membre de la cité cosmique, de l’aimer comme son « prochain », a maille à s’appliquer devant certaines conditions humaines, ou devant certaines décisions juridiques.

Il apparaît dès lors que la sagesse qui se développe dans le cadre strict du pouvoir, n’est pas assimilable et comparable à celle qui conduit le sage épicurien retiré de la cité, afin de savourer sa béatitude loin des combats et des batailles. Ceci pour dire qu'avec Epicure, c’est ce rapport aux « maux » qui chiffonne un épicurien, car comment savourer la paix si on est constamment ballotté par les vents (événements) du pouvoir ?

Il y a visiblement, et la pratique politique de ces figures du stoïcisme, donne raison à Epicure, que l’ataraxie véritable n’est pas envisageable du côté du pouvoir. L’école stoïcienne laisse certes la voie libre à leurs disciples à exercer le pouvoir, mais aux temps des stoïciens de la première génération curieusement aucun nous semble-t-il n’a franchi le pas. Ils ont théorisé sur des principes qu’ils n’ont pas comme dirait un bachelardien, confirmé l’idée avec l’expérience. Il a fallu l’époque de la République romaine pour voir leurs idées transposées, réussies, mais assorties de lacunes. Car l’exercice de la vertu a été fortement mis à mal par les soubresauts de la vie politique.

Si dans le De Finibus et dans certains de ses textes, Cicéron s’est toujours âprement pris aux épicuriens pour leur refus strict d’engagement politique, c’est parce que pour un épicurien, les paroles du maître du Jardin sont sacrées et incarnaient la vérité elle-même (et non la vérité en soi) vis-à-vis des faits. Et l’activité politique fait partie intégrante de ces réalités que le philosophe du Jardin conseille de fuir, si on est partie prenante de sa doctrine du bonheur, à savoir que : le sage ne fait pas la politique. Dans de Amitia, Cicéron fait déjà cette remarque à son ami épicurien Atticus. Et pour Pierre Grimal, si en effet l’ataraxie est aussi comprise comme ce travail de vie intérieure, il est en effet difficile tant pour Sénèque que pour Cicéron, d’envisager la réalisation de l’ataraxie à l’écart de la cité. 

Toutefois, avec Marc-Aurèle il est aisé de sentir, de voir qu’il ne fut pas épris du pouvoir qui lui a été imposé, au rebours d’un Sénèque ou d’un Cicéron. Car s’il lui était permis, il aurait mieux laissé le pouvoir à son frère adoptif Lucius Verus. Marc-Aurèle en vrai stoïcien fut insensible aux séductions du pouvoir et de la volupté. Ce qui le motivait à exercer le pouvoir, c’était le devoir. Avec, Mario Meunier dans Pensées pour moi-même, il est aisé de percer l’amertume de l’empereur liée à cette tâche qui a pris toute la vie : « Aux soucis inhérents à la charge qu’il assuma sans l’avoir recherchée, mais qu’il remplit en s’y dévouant tout entier et en y apportant toute la confiance d’un chef dont la pensée s’était depuis longtemps nourrie des maximes de toutes les sagesses, vinrent bientôt s’ajouter les tristesses qu’amènent les deuils, les calamités, les épidémies et les guerres. »[39].

C’est donc dire que même dans une optique stoïcienne, la sérénité stricto sensu est difficile avec les affaires publiques. Et Sénèque même le reconnaît implicitement, lorsqu’il affirme cette vérité force : « Si ni Cléanthe, ni Chrysippe, ni Zénon n’administrèrent les affaires publiques, c’est qu’ils n’étaient pas nés dans les conditions ni la situation sociale qui permettaient de le faire »[40] . Cet argument de Sénèque des situations et des conditions n’est pas soutenable à nos yeux, car Sénèque voudrait accréditer par la thèse de cette participation à la politique, faire la part belle au stoïcisme, et fonder par là la possibilité de l’ataraxie dans le cadre du pouvoir, alors que les faits même récusent une telle possibilité effective. Car, c’est seulement à Rome que les conditions, ou mieux les circonstances furent possibles pour adapter le stoïcisme à la politique. Pour Sénèque, nous rapporte  Pierre Grimal : « Le sage dit qu’il faut mépriser ces biens extérieurs (la fortune et les autres avantages) non pour en refuser la possession, mais pour les posséder sans angoisse. »[41]. En d’autres termes, pour le stoïcien Sénèque il y a des choses extérieures pour lesquelles le sage peut donner son assentiment, sans qu’elles constituent des entraves pour la santé de l’âme. Plus clairement, en restituant la quintessence de leur doctrine sur les catakonta (les préférables) à laquelle Sénèque est resté peu ou prou fidèle, il y a selon les stoïciens des préférables parmi les biens extérieurs ; tels que la richesse ou le pouvoir par exemples, qui par leur jouissance ne constituent pas des obstacles dans l’exercice de la vertu. D’un mot, la vie politique en tant qu’elle est considérée comme un devoir pour le sage, n’est pas incompatible avec la sagesse ou la vertu. Pour le stoïcien souligne Pierre Grimal : « La vie, comme la fortune et les honneurs, est un indifférent, aussi ne doit-elle être ni trop aimée ni méprisée. »[42]. Mieux, si nous nous inscrivons dans le style de vie des stoïciens, nous pouvons dire que Sénèque a tâché d’être au plus près du sage stoïcien qui assume ses actes par sa participation au pouvoir, et que les conséquences il n’en est pas maître.

Cependant pour un épicurien, nonobstant la grande volonté d’un Sénèque et l’honnêteté d’un Marc-Aurèle d’appliquer les principes sacro-saints de la doctrine du Portique, il reste et demeure que le pouvoir est une autre réalité, qui a ses contraintes, ses impératifs qui peuvent souvent contraster avec l’idéal de sérénité du portrait du sage du Portique. Car, face à certaines réalités telles que la cruauté de Néron, qui a été l’élève de Sénèque, nous pouvons dire que les préceptes ne furent pas suffisants, voire efficaces pour l’empêcher de tomber dans le vice et le crime. Dans l’histoire de la pensée politique, si on veut citer un despote ou un tyran sans scrupule, la figure de Néron apparaît sans conteste : assassin de sa mère, de son frère, de sa sœur, de son épouse, et de ses précepteurs, incendie de Rome. C’était l’homme des forfaits par excellence, nonobstant tout le mal que Sénèque s’est donné pour le rendre vertueux. Et les jugements, ou les portraits sont tristes à son endroit : le poète Martial se demandait « qu’y a-t-il de pire que Néron ? » ; Pline l’ancien le taxait de « fléau du genre humain »[43]. C’est pourquoi nous inclinons à croire que c’est face à cet échec de son enseignement, que Sénèque n’a pas hésité à comploter pour le détrôner ; acte qui lui a valu justement de se donner la mort sur ordre de l’imperator (Néron).

Le cas de Sénèque sur un plan politique, est pour nous la preuve qu’on ne peut pas être tranquille et ni sécurité lorsqu’on a les mains souillées par un meurtre. Les auteurs sont d’avis pour avancer que Sénèque fut cocommanditaire du meurtre d’Agrippine. Pour Paul Veyne cela est sans conteste qu’« il passera bientôt pour avoir rédigé de sa main la justification officielle du meurtre d’Agrippine.»[44]. D’un mot, pour Paul Veyne, Sénèque passe pour « ceux qui contredisaient leurs maximes par leur conduite ». Mais pour Sénèque qui ne manque jamais d’arguments pour justifier sa conduite, il estima que ce qu’il avait fait s'inscrivait dans la droite ligne des enseignements et de la conduite des anciens du Portique qui professaient des maximes mais ne font pas ce qu’ils disent. C’est raison pour laquelle dans le traité De la tranquillité de l’âme, il reconnaît que « sa vie n’a pas été conforme à ses idées »[45]. A tout prendre, Sénèque fut un représentant infidèle du stoïcisme. C’est en tant qu’il s’est affublé de la toge du stoïcisme, qu'il ne put échapper aux feux d’une critique épicurienne sur l’inanité du pouvoir et sa dangerosité pour le philosophe. En sus de, Sénèque est le seul représentant du stoïcisme qui fut cumulativement ministre et précepteur d’un empereur, posture qui nous permet d’étayer le bien fondé de l’apolitisme d’Epicure. Et les faits quotidiens du pouvoir impérial de Néron et de son acolyte Sénèque, donnent on ne peut plus raison, à la retraite du philosophe du Jardin.

Ces deux expériences du stoïcisme au pouvoir donnent raison à Chrysippe qui a affirmé en effet que « la vertu peut se perdre », à cause de l’ivresse du pouvoir. Sauf Marc-Aurèle a suivi le principe Cléanthéen de l’inséparabilité de la possession de la vertu (arêté) et de son usage constant. Les propos de Chrysippe sont pour un épicurien très estimables, car il reconnaît la limite de l’exercice de la vertu. Pour Chrysippe en effet, la vertu n’est pas absolument invulnérable ainsi que nous avons essayé de le monter avec Sénèque et Néron.

A la vérité donc, le stoïcisme qui prône la participation du citoyen à l’universalité de la cité cosmique, ne saurait accepter ou encourager la guerre de la part de leur disciple. La guerre nous le savons depuis toujours fait partie du pouvoir, c’est un moyen de consolider la puissance d’un Etat. Et d’Alexandre le Grand à Néron ce fut la même passion, la même volonté de puissance comme dirait Nietzsche. Partant, la guerre qui est greffée au pouvoir comme une seconde nature, rend antithétique toute zététique de l’ataraxie via l’activité politique. C’est pourquoi hic et nunc, il est permis de dire que la guerre, en tant qu’elle est une action politique qui détruit nécessairement des vies humaines et des Etats, est incompatible avec la doctrine du Jardin. D’où ici la très grande clairvoyance des anciens stoïciens qui se sont retenus de participer aux affaires publiques.

Quand aux épicuriens romains, nous savons que la plupart sont ont affiché leur apolitisme, une façon d’être en conformité avec l’esprit du Jardin. Seule une poignée d’entre eux ont opté pour l’action politique, par exemple, Pison, Jules César, ou Torquatus, pour ne citer que ceux-là. Partant de cette analyse, on peut avancer qu’il y a concrètement, un divorce dans les diverses façons de concevoir le souverain bien. Marc-Aurèle seul à notre connaissance est resté rigide par rapport à la ligne tracée par les anciens stoïciens. Mais pour les stoïciens ambitieux, l’activité politique, ou plus exactement la vie politique exige, pour le standing d’une personnalité aussi influente que Sénèque, de disposer d’une fortune ; car les talents oratoires ou la vertu ne suffisent pas (Cicéron le pense aussi). La réalité politique elle-même récuse naturellement l’application de l’austérité stoïcienne : il fallait surtout faire montre de beaucoup de largesses (de munificence) aux foules, être généreux. Hier comme aujourd’hui, on ne peut pas se prétendre homme politique et aller vers le peuple les mains vides. Il faut donner à tour de bras, pour s’attirer une certaine admiration, pour soigner comme  disent les modernes son image de marque. Sénèque fort heureusement a compris même si cela fut sur le tard, que l’argent : sa possession, sa recherche constante sont nocives pour la paix de l’âme. Aussi est-ce raison pour laquelle, Sénèque s’est retiré du pouvoir afin de se consacrer à la méditation, à la philosophie, à l’otium (oisiveté) : « Que nous ne ferions rien d’autre pour notre salut, la retraite nous sera déjà profitable en elle-même : isolés, nous serons meilleurs. Mais nous avons la facilité de nous unir dans la retraite aux plus vertueux personnages et de faire choix d’un modèle sur lequel nous réglions notre vie. A cela le repos est nécessaire : nous ne sommes capables de persévérance qu’autant que nul ne vient ébranler, avec le concours de la foule, nos convictions encore mal affermies ; la vie peut se poursuivre alors d’un cours égal et régulier, au lieu que nous la morcelons par l’incohérence de nos desseins »[46]

Il fallait donc « jeter la coupe » comme dirait Diogène le Sinope et boire avec ses mains, si on veut être heureux et loin des agitations et des forums. Dans le traité de la De la tranquillité de l’âme, Sénèque fait son mea culpa: « Peut-être ne suis-je pas encore totalement délivré, en esprit, de toute attache envers mes biens, qui sont, j’en conviens, immenses, mais j’en ai conçu la possibilité et l’espoir, et cela m’apporte, dès maintenant, la faculté d’utiliser ces biens qui m’entourent en toute indépendance, par rapport à moi-même. Cette liberté me permet, à la fois de donner et de ne pas gaspiller _ n’éprouvant pour ce que je possède ni amours déraisonnable, ni haine, je suis vraiment libre, je puis user, à leur égard, de mon jugement, avec une totale sérénité. »[47]. Il ressort donc que le principe de détachement, comme dans l’épicurisme, est un impératif, si un stoïcien veut concilier exercice du pouvoir et rechercher de la paix de l’âme ; et surtout s’il veut bien finir sa vie politique sans être assassiné ou condamné à mort. La tranquillité de l'âme ainsi qu’il ressort chez Sénèque, n’est possible que par le retrait du pouvoir à la campagne _ par cette démarche il devient épicurien _. Pour Paul Veyne en effet, le mot « tranquillité » est propre aux dieux, à leur existence. Epicure l’a compris bien avant les stoïciens. Epicure pourrait en effet se pâmer de rires au regard de leurs souffrances, et de leur participation aux affaires. Pour Epicure, le philosophe doit être en harmonie avec ses principes, s’il veut atteindre la même félicité que les dieux bienheureux (makarioï).

Il suit donc que cette expérience de Sénèque au pouvoir, est une belle traduction de la limite de la compatibilité entre l’ataraxie du sage épicurien et le pouvoir. Et à ce niveau de notre analyse, Pierre Grimal est d’avis pour souligner qu' « en la personne de Néron, ce sont les idées stoïciennes qui ont été portées au pouvoir. »[48]. Autrement dit, dans une perspective épicurienne, on est tenté d’avancer que c'est le stoïcisme qui a échoué lamentablement au pouvoir. Plus exactement, par ce rapport au pouvoir, la doctrine du Portique a montré ses limites. Car, aussi longtemps que le sage stoïcien est dans les catakonta, pour un épicurien du Jardin, il est loin de la vraie sagesse, c’est-à-dire que spirituellement, il n’est pas encore accompli. Dans l’optique du philosophe du Jardin, il faut toujours se réjouir grandement du sage qui est parvenu à s’éloigner de la prison des affaires quotidiennes.

Il est sans conteste que Sénèque a profondément lu Epicure. Il est assurément plus épicurien que stoïcien lorsqu’il veut être honnête. Les maux du pouvoir et les menaces qu’il a dus affronter pendant tout son ministère, l’ont incidemment rapproché d’Epicure, de son désengagement politique, d’où tout le sens de cette pensée qui prouve si besoin est, que Sénèque a regretté cette participation au pouvoir: « Le (sage) évite un pouvoir qui est appelé à lui nuire, mais en prenant garde avant tout, de montrer qu’il cherche à l’éviter ; une part de sa sécurité réside en effet aussi dans le fait de ne pas la rechercher en le proclamant, parce que quiconque fuit condamne. »[49]. Autrement dit, Sénèque, et à travers lui, une certaine tendance stoïcienne reconnaît en fait que la sécurité véritable, au sens du philosophe du Jardin ne s’obtient pas auprès des monarques, ou du pouvoir, mais dans le retrait, dans le « vivre caché » des épicuriens.

Et la maxime capitale XXI est là pour attester de manière éloquente à l’encontre de l’incompatibilité manifeste entre ataraxie et politique, car pour le philosophe du Jardin, la politique ainsi qu’il l’a toujours réitérée à ses détracteurs est souffrance (pathos), et relève des désirs du troisième ordre qu’il ne faut pas rechercher ; car souligne Epicure : « Celui qui connaît les limites de la nature sait qu’il est facile de se procurer ce qui supprime la douleur due au besoin et qui rend la vie tout entière parfaite ; de sorte qu’il n’a en rien besoin, en outre, des choses qui comportent la lutte (agôn) .»[50]. En d’autres termes, une doctrine de la sagesse et du bonheur qui laisse la porte ouverte à la recherche « illimitée » des biens ou des désirs vains, méconnaît aux yeux d’Epicure, la vraie sérénité.

C’est pourquoi à l’endroit de certains stoïciens qui ne voient pas d’inconvénient à lier ataraxie et politique, ou sagesse et richesse, Epicure affirme : « Une vie libre ne peut pas acquérir de grandes richesses, parce que la chose n’est pas facile sans se faire le serviteur des assemblées populaires ou des monarques, mais elle possède tout dans une abondance incessante ; et s’il lui arrive de disposer de grandes richesses, facilement aussi elle les distribue, en vue de la bienveillance du voisin. »[51]. Plus clairement pour Epicure, si on veut être fidèle au portrait du sage qui vise la paix de l’âme (summa pax), la recherche de l’argent et des richesses, constituent des entraves pour la réalisation de l’ataraxie et de la félicité ; dans l’exacte mesure où d’un point de vue éthique, l’argent ne constitue pas un bien, et ne correspond à aucun plaisir recherché par l’âme.

C’est donc dire que le sage qui s’implique dans l’activité politique risque de ressortir souillé, d’où la nécessité de se purifier au moyen de l’étude ou de la philosophie qui conduit à cette thérapie de l’âme. Et Sénèque lui-même reconnaît que c’est le retour à la philosophie qui lui a permis de s’arracher doucement des « choses sordides » (primo discedemus a sordidis).

De ces considérations qui précèdent, force est d’admettre que l’expérience des affaires « sordides » du pouvoir a finalement rapproché épicurien et stoïcien, en ce sens qu’il y a convergence de point de vue sur le bonheur qui ne se réduit pas à une vie vouer au pouvoir et à ses avantages, mais qu’il consiste principiellement à la connaissance des vérités cosmiques ainsi que le philosophe du Jardin les exposées dans ses Lettres. Les anciens stoïciens de la bouche de Pierre Aubenque et de Jean Marie André, ne cachent pas absolument leur apolitisme lorsqu’ils assument leur otium (loisir) : « Se tenir en lieu sûr, se consacrer, dès l’abord, à l’étude de la sagesse, et traverser la vie dans un loisir innocent, en cultivant les vertus dont la pratique est permise même au sein de la plus absolue quiétude. »[52]. Sénèque à nos yeux n’a fait que reprendre les vérités du philosophe du Jardin lorsqu’il affirme que : « La connaissance des vérités cosmiques purifiera l’esprit, sera pour lui comme une propédeutique qui lui conférera une puissance de pénétration accrue. Voyant clair dans l’univers, il verra en lui-même et dissipera une fois pour toute, tous les sophismes qui nous permettent, tout en condamnant nos erreurs, d’y demeurer attachés. »[53]. Autrement dit, cette connaissance de l’univers par le biais de la méditation, est assortie de conseils (parainesis) à l’endroit de Lucilius et de Paulinus à fuir les affaires administratives. Nous retrouvons ici les mêmes exhortations qu’Epicure adressait à ses disciples Hérodote, Pythoclès, et Ménécée. Mais la question qu’on ne saurait s’empêcher de poser, est celle de savoir comment un autodidacte tel qu’Epicure, qui de surcroît n’a jamais exercé le pouvoir est arrivé bien des siècles auparavant à cette importante vérité politique, à savoir : la « sordidité » des affaires politiques ?

Avec des regards de modernes, nous pouvons aisément avancer que le philosophe du Jardin avait eu plus de bon sens et d’intuition politique que les autres philosophes _ même si Plutarque est jaloux de la sapience d'Epicure _. Mais au sens antique, on soutiendra que le philosophe du Jardin a exercé mieux que les autres sa phronêsis (sagesse pratique) pour prendre très tôt ses distances d’avec la politique. Et ses aphorismes sont les preuves pour nous qu’Epicure a longuement mûri cette réflexion sur la politique, sur le phénomène politique pour tout dire. Mieux, faudrait-il convenir, le philosophe du Jardin fut un fin observateur, un sociologue politique au sens exact du terme, qui a diagnostiqué toute cette réalité des cités-Etats grecques depuis les anciens jusqu’à son époque dont il fut le témoin vivant et éloquent. En refusant, voire en interdisant à ses disciples l’exercice du pouvoir, Epicure a été un visionnaire. Aussi, n’est-il pas exagéré que certains auteurs le taxent à juste titre de « prophète » ou de « gourou ». Mais pour nous, Epicure a eu la lumière (aufklarung) juste, pour épargner à ses disciples les misères du pouvoir. Et Mythrès ami du Jardin, qui après sa déchéance politique en Asie est revenu vivre avec ses amis du Jardin, corrobore bien ce « bon sens politique » du philosophe du Jardin.

Il ressort donc que pour Epicure, la sagesse stoïcienne ne peut se réaliser que par cette connaissance de la physique (phusis). Si dans les deux écoles (Jardin et Portique), la connaissance de la politique n’apparaît pas dans la tripartition de leurs philosophies, c’est parce que nous estimons au regard de tout ce que nous avons montré plus haut, que la politique n’est pas une connaissance fiable, mais considérée comme un univers agité comme les « vents de la vaste mer », où tout change, sujet à la corruption, à la violence, aux vices, à la guerre. De point de  vue, la vie politique n’est donc pas le lieu idéal pour l’exercice de la vertu. Elle ne conduit pas à la sagesse. La meilleure des preuves fut la retraite malheureuse de Sénèque. Car si on veut rester fidèle à l’idéal du sage du Portique, le sage est d’après leur doctrine celui qui est arrivé à se détacher des choses du monde, qui est en surplomb sur le monde. D’un mot, prendre congé avec la politique, c’est revenir à la nature, à la phusis. Dans cette optique le retour à la nature, c’est le retour au dieu. Et dans le sillage d’Epicure, c’est atteindre la félicité du makarios (le dieu bienheureux).

Sénèque reconnaît dans la Lettre à Lucilius, que c’est durant sa retraite qu’il a pu savourer cette félicité qui est liée à l’étude ; car cette réconciliation avec lui-même, lui fait découvrir son propre sentiment de plénitude et de sérénité. D’un mot, Sénèque fait montre d’une grande flexibilité dans sa conception du stoïcisme, afin d’établir contrairement au stoïcisme orthodoxe, l’accessibilité de la vertu. Si Néron ne fut pas un bon élève stoïcien, c’est parce qu’il ne s’était pas conformé à l’enseignement de Sénèque, a fortiori à celui de Zénon qui disait : « Vivre d’une manière cohérente, c’est-à-dire selon une règle de vie une et harmonieuse, car ceux qui vivent dans l’incohérence sont malheureux. »[54].

A la vérité, et à bien suivre le Sénèque De Otio, si les anciens stoïciens fuyaient la vie politique, c’est parce qu’ils étaient convaincus que la société étant composée de cette foule d’ignorants et d’insensés qui s’étaient éloignés du chemin de la vertu, la résultante d’une telle composition ne pouvait produire, occasionner que le développement de tous les vices possibles. C’est tenant compte de cette réalité, que la retraite devient immanquablement, la voie royale pour l’ataraxie. Sénèque après son retrait politique, a eu l’occasion de savourer ce délice du retrait dans la campagne, de pratiquer le « souci de soi  (epimeleia heautou) pour nous exprimer comme Michel Foucault. Cette retraite, entendue chez Epicure comme « vivre caché » (lâthé biôsas) permet de se cuirasser contre les vices de la foule. Par cette reconversion vers soi, il est sans conteste que les stoïciens nonobstant leurs critiques à l’endroit de leur non participation des épicuriens à la vie publique, s’inscrivent sans le vouloir dans le même retrait que le Jardin, dans la jouissance de l’otium du sage.

Ainsi se comprend tout naturellement la remarque mordante de Plutarque à l’endroit des stoïciens, en ce qu’ils ne conforment pas à leurs propres dogmes : « Etant donné qu’il se trouve que beaucoup de choses ont été écrites par Zénon lui-même_ compte tenu de la faible étendue de son œuvre_ beaucoup aussi par Cléanthe, et encore une quantité par Chrysippe, sur la vie politique (peri politeias), la situation de gouverné et de gouvernant (archestai kai archein), l’exercice de la justice, l’art oratoire, alors qu’on ne relève dans la vie d’aucun d’eux aucune activité de chef militaire ni de législateur, pas d’intervention non plus devant une assemblée délibérante, pas de plaidoyer devant les tribunaux, pas de campagne militaire pour la défense de la patrie, pas d’ambassade, pas de contribution volontaire, tandis que leur vie entière, qui n’a pas été brève, mais fort longue, s’est passée en terre étrangère, à savourer, tel fruit de quelque lotus un loisir consacré aux discours, aux livres et aux déambulations philosophiques, l’évidence ne nous fait défaut pour constater qu’ils ont vécu en accord (homologoumenôs) avec les écrits et les discours d’autres gens plutôt qu’avec les leurs propres. »[55] .

Conclusion

Il est prétentieux de notre part d'avoir résolu toutes les problématiques de l'apolitisme d'Epicure. Toutes les voies n’ont pas été explorées. Cette posture politique atypique a forcément un intérêt philosophique et politique, à tel point qu’elle d'abord heurté sans le vouloir probablement ses concitoyens grecs, et par la suite certains auteurs tels que Cicéron ou Plutarque. Notre démarche s'inscrit dans la petite brèche ouverte par Victor Goldschmidt dans La Doctrine d'Epicure et le droit, afin d'apporter une lumière nouvelle à cette abstention politique qui continue aujourd'hui encore à embarrasser nos contemporains. A partir de tout ce que nous avons établi, on est en mesure d’apprécier dans sa profondeur, que le philosophe du Jardin sous les traits d’un apolitisme dissimulé, était en fait un fin politique. En prônant la non-violence, la prudence, et la conformité aux lois, le philosophe du Jardin s’érige en cette période comme le promoteur par excellence de la justice telle qu’elle devrait s'établir dans les rapports avec les autres et entre Etats. Si dans maints aphorismes, le philosophe du Jardin réitère l’impératif de « ne pas se nuire ou se faire du tort mutuellement », c’est parce que la justice dans l’optique d’Epicure, lorsqu’elle est conforme à la nature, nous prémunit contre toute forme d’atteinte, ou d’injustice.

On est donc en mesure d’admettre avec Epicure que l’univers de la politique constitue une réelle source de trouble de l’âme, ne permettant pas d’asseoir une véritable paix de l’âme pour le philosophe. En s’isolant dan sa forteresse du Jardin en banlieue d’Athènes, le philosophe du Jardin a montré qu’il était possible de vivre sagement à l’image des dieux épicuriens loin des soucis, des tracas de la politique et de la foule. Les dieux épicuriens ne s’occupent pas de politique, raison pour laquelle, il est superflu dans la doctrine d’Epicure de s’échiner à faire de la politique, mais d’opter pour une existence à l’image du makarios ainsi que nous le rappelle Festugière : l’épicurien « admire la nature et la condition des dieux, il s’efforce de s’en rapprocher, il aspire pour ainsi dire à la toucher, à vivre avec elle, et il nomme les sages amis des dieux et les dieux amis des sages »[56].

A l’examen, il se dégage à travers l’apolitisme d’Epicure une plus-value pour le sage qui sait appréhender les réalités politiques. Avec la période du philosophe du Jardin, nous sommes de plain-pied dans l’effondrement des institutions démocratiques qui ne garantissaient plus la sécurité et le bonheur. D’où la prudence des épicuriens vis-à-vis des affaires politiques. Les représentants de l’ancien stoïcisme (Zénon, Chrysippe, Cléanthe) avaient gardé une certaine réserve, tout en liant leurs enseignements à la vie politique. Il nous semble qu’ils n’ont pas calculé, pensé mieux qu’Epicure, les conséquences d’une participation au pouvoir. Ils auraient dû passer eux-mêmes en tant que théoriciens à l’action, à l’expérience afin de donner des paranaisis (conseils) aux disciples sur les limites d’une telle participation qui peut entamer l’exercice de la vertu. C’est vraisemblablement à cause de cette « bavure philosophique » que les épicuriens disaient qu’il n’y a eu aucun sage parmi eux.

Sénèque à l'évidence par ses lectures épicuriennes a retrouvé la lumière qui lui a permis de se décrocher à temps du pouvoir de Néron pour savourer une nouvelle félicité. Par ailleurs, la vie même de Marc-Aurèle, toujours confrontée à des situations extrêmes : épidémies, guerres, révoltes, traduit bien au-delà de l’éloge que certains font de sa personnalité, cette misère de l’activité politique.

L’ataraxie épicurienne, dès lors, et au rebours de ce que ces deux représentants du stoïcisme, s’en distingue qualitativement. Car si nous souscrivons à la pensée de Jean-François Balaudé, l’ataraxie n’est pas un état définitif du bonheur épicurien ; mais elle est la preuve que l’accessibilité ou l’effectivité est possible quand nous éliminons toutes les formes de souffrance tant du corps que de l’âme. Et c’est dans ce sens que peut se comprendre ce passage de la Lettre à Ménécée : « En effet, une étude  de ces désirs qui ne fasse pas fausse route, sait  rapporter tout choix et tout refus à la santé du corps et à l’absence de troubles de l’âme, puisque c’est là la fin de la vie bienheureuse. »[57]. C’est aussi dans cette approche qu’il faut comprendre que dans le cadre de la théorie du bonheur épicurien, le premier bien (agathon) de toute action est le plaisir. D’où ici toute la différence avec le bonheur stoïcien qui conduit à un état d’insensibilité ou d’impassibilité.

Il apparaît donc que le sage épicurien, sans s’échiner à faire de la politique, montre la voie royale qui permet d’avoir la plus grande et la plus belle des richesses, qui consiste à revenir à la droite philosophie. Pour tout dire, pour Epicure la philosophie est une activité (energeia), c’est-à-dire un mode de vie, et comme telle n’est pas sans bénéfice, car elle conduit réellement à la santé de l’âme. Jean-François Balaudé corrobore notre analyse en rapportant cette pensée de l 'épicurien Diogène d’OEnoanda, qui soutient que : « Cette fin, ce n’est ni la richesse qui peut la fournir, ni la renommée politique, ni la royauté, ni la vie raffinée et les richesses de la table, ni les plaisirs sexuels choisis, ni rien d’autre, mais c’est la philosophie »[58].

Par cette modeste comparaison, nous n’avons pas eu l’intention de réduire le stoïcisme à une philosophie légère. Nous sommes mêmes heureux de constater que la conduite de leurs maîtres a un air de famille avec l’apolitisme d’Epicure. Tout comme par exemple Sénèque salut honnêtement la vie ascétique Epicure, qui décharge ici le philosophe du Jardin des attaques de Plutarque dans le Contre Colotès. Nous avons essayé à notre modeste niveau, une certaine exégèse de leur doctrine sur le plan politique pour entrevoir jusqu’où peut résister leurs principes. Nous avons pu percevoir à travers les expériences de Sénèque, de Néron, et de Marc-Aurèle au pouvoir la grandeur du stoïcisme, c’est-à-dire la vérité de leurs enseignements, mais aussi leurs limites.

 

Youssouf Maïga Moussa

Criminophilosophe.

 


[1] Diogène Laërce rapporte certaines méchancetés sur la doctrine d’Epicure : « Le stoïcien Diotime, qui le haïssait, l’a très vilainement calomnié en produisant contre Epicure cinquante lettres scandaleuses. Un autre auteur a fait comme lui, et donné à Epicure des lettres ordinairement attribuées à Chrysippe. Le Stoïcien Posidonius, Nicolaos, Sotion (Vingt-quatre preuves à Dioclès en douze livres) et Denys d’Halicarnasse. » (Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, tome II, Robert Genaille, Paris, Flammarion, 2006, p. 216). On est tenté de croire que Cicéron et Plutarque se sont embourbés dans cette vieille polémique/éristique entre écoles hellénistiques, pour dénaturer certaines thèses d’Epicure. Crûment, ils ont contribué par leurs critiques acerbes à dénigrer l’abstention politique comme une lâcheté et une couardise, sans prendre en compte les conditions politiques qui ont déterminé le vivre caché (lâthé biôsas), qui a une kyrielle de connotations, car le choix même de vivre caché participe de la droite phronêsis.

[2] CF. Apologie de Socrate, 31d, in Platon, Œuvres complètes I, L. Robin et M.-J. Moreau, Paris, Gallimard, 1984, p. 168. 

[3] Aristote, La Politique, I, 2, 1253 a 5, J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1995, p. 28 : l’apolitique est considéré comme « celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l’humanité ». Cette définition est malaisée à appliquer à l’apolitisme d’Epicure et de ses amis. De préférence, il nous semble qu’il faut retenir qu’Epicure et ses amis refusent les intrigues politiques et les tracas politiques. A de tels individus correspondent le terme apragmosynè, ou Périerga. Car, c’est par un choix rationnel et prudent, que les épicuriens ont opté pour le vivre caché (lâthé biôsas) en banlieue d’Athènes. Mais politiquement parlant, il est loisible d’y voir par cette posture politique, une supérieure de leur communauté, de leur mode de vie par rapport à la vie dégradante de l’entité politique. C’est dans cette perspective que pourrait se comprendre les sens que nous propose Christian Godin : l’apolitisme est : « 1. Etat de celui qui, par stratégie ou indifférence, ne se définit pas comme citoyen concerné par les affaires publiques. 2. Etat de ce qui ne se définit pas par rapport à la façon dont l’Etat est dirigé et les affaires communes conduites. » (Dictionnaire de la philosophie, Paris, Fayard/Editions du Temps, 2004, p. 89)

[4] Le terme hellénistique a une extension large, et se distingue de hellénique. Pour Xénophon, qui a produit un brillant ouvrage sur Les Helléniques, il ressort amplement que hellénique a plus rapport à la guerre du Péloponnèse, c’est-à-dire la prise d’Athènes en 404 par Sparte et la destruction des longs murs, qu’à la période qui lui est presque subséquente : la période hellénistique, qui a brillé par les exploits d’Alexandre le Grand, et la tyrannie de ses diadoques. Selon P. Chambry dans la notice du dit ouvrage, « Thucydide s’était arrêté à l’année ~ 411. C’est à cette année ~ 411 que commencent les helléniques ». (Cf. Xénophon, Œuvres complètes 3, Les Helléniques, L’Apologie, Les Mémorables, trad. notices et notes, P. Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, p. 11). Alors que hellénistique doit s’entendre suivant Pierre Hadot comme suit : « Notre histoire commence avec cet événement hautement symbolique que représente la fantastique expédition d’Alexandre, et avec l’apparition du monde que l’on appelle hellénistique, c’est-à-dire de cette forme nouvelle que prend la civilisation grecque à partir du moment où, grâce aux conquêtes d’Alexandre, puis à l’essor des royaumes qui s’ensuit, cette civilisation se répand dans le monde barbare, de l’Egypte aux frontières de l’Inde, et entre alors en contact avec les nations et les civilisations les plus diverses. Ainsi s’établit une sorte de distance, d’éloignement historique, entre la pensée hellénistique et la tradition grecque qui l’a précédée. Notre histoire voit ensuite l’essor de Rome qui provoquera la destruction des royaumes hellénistiques, achevée en l’an 30 av. J.-C avec la mort de Cléopâtre. » (Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, préface d’Arnold. I. Davidson, Paris, Albin Michel, 2002, p. 261).

[5] Colette Lazam, Sénèque, De la tranquillité de l’âme, précédé d’un essai de Paul Veyne, Paris, Petite      Bibliothèque Rivages, 1988,  p. 37.

[6]  Ibid., p. 37.

[7] Epicure, Lettres et maximes, trad. M. Conche, PUF, 2005, p. 261 : « Il ne faut pas faire semblant de philosopher, mais philosopher pour de bon ; car nous n’avons pas besoin de paraître en bonne santé, mais de l’être vraiment ».

[8] Cf. Notre thèse en cours : « La Katalepsis des staseis gréco-hellénistiques à la lumière de la doctrine d’Epicure », qui traite justement de cette sécurité (asphaleia) considérée comme summum bonum d’un point de vue politique.

[9] Lucrèce, De la nature, livre II, Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 61 : « Il doux, quand sur la grande mer les vents soulèvent les flots, d’assister de la terre aux rudes épreuves d’autrui : non que la souffrance de personne nous soit un plaisir si grand ; mais de voir à quels maux on échappe soi-même est encore chose douce. Il est doux encore de regarder les grandes batailles de la guerre, rangées parmi les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais rien n’est plus doux que d’occuper solidement les hauts lieux fortifiés par la science des sages, régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes, les voir errer de toutes parts, et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser de génie, se disputer la gloire de la naissance, nuit et jour s’efforcer, par un labeur sans égal, de s’élever au comble des richesses ou de s’emparer du pouvoir ». Dans notre thèse en cours, il est cependant fait mention, que les amis du Jardin n’ont pas constamment joui de cette suavité tant célébrée par Lucrèce ; car elle fut interrompue par les sièges militaires de Cassandre et de Démétrios Poliorcète, et consécutivement par les tensions liées à la défaite des Antigonides en 301, qui ont occasionné la prise du pouvoir à Athènes par Lacharès du bord de Cassandre.

[10] Nous retrouvons cette zététique de l’ataraxie politique épicurienne et sa concrétion dans l’action politique de l’épicurien Jules César ; car au nom du concept de l’utilitas qui est matriciel dans la doctrine d’Epicure, Jules César a concilié ordre politique, tranquillité de l’Etat, sécurité de l’Etat, et l’usage de la force.

[11] Nous traduisons: “The negative attitude of Epicurus to politics finds its sources in the academy. Epicurus is taking sides on an issue raised in that school. The academy is the background against which we must study the garden.” (B. Farrington, The Faith of Epicurus, éd. Morrison and Gibb Limited, London and Edinburg, 1967, p. 15). Mais, partant de notre thèse en cours, nous invitons à changer de regard, et à reconsidérer que l’apolitisme d’Epicure fut déterminé par d’autres raisons, autres que les polémiques entre écoles ; car on occulte chaque fois qu’Epicure avait participé à la guerre de Lamia (322). Et au lieu de recevoir des honneurs, il ne mérita de la part de la foule, des pro-macédoniens que des persécutions. D’où l’origine de son « vivre caché » à Athènes en 322. Il a fallu un an après pour qu’il puisse retrouver sa famille à Colophon. C’est pourquoi nous suggérons l’idée que le jeune Epicure a sans conteste subi un traumatisme post guerre Lamia, qui a occasionné par la suite un complexe politique. D’où son apolitisme politique.  

[12]    Aristote, La Politique, I, 2, 1253a-5, J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1995, note.3, p. 28.

[13]  George. H. Sabine, a history of political theory, in Louis Dumont, Essais sur l’individualisme, une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983, p. 40.

[14]  Michel Foucault, l’Herméneutique du sujet, Hautes Etudes, Paris, Gallimard/Seuil, 2001, p. 40.

[15]    Maxime XIV, in Epicure, Lettres et maximes, trad. M. Conche, Paris, PUF, 2005, p. 235.

[16]    Ibid., Sentence 58, p. 261.

[17]    Sur la tranquillité de l’âme, 2.465f, in Geneviève Rodis Lewis, Epicure et son école, Paris, Gallimard, 1975, p. 361.

[18] Cf. Gai savoir sur l’Epicurisme-1 : la culture de l’amitié dans le Jardin d’Epicure, Paris, Edilivre, 2012.

[19]    Bernard Groethuysen, Anthropologie politique, in Pierre Hadot, Exercices Spirituels et philosophie antique, préface d’Arnold .I. Davidson, Paris, Albin, 2002,   p. 343.

[20]  Geneviève Rodis-Lewis, Epicure et son école, op. cit., p. 308.

[21] Pour Epicure le bonheur s’entend de deux manières : « Le bonheur suprême que possède la divinité, et qui n’admet pas d’augmentation, et celui qui admet une augmentation et une diminution. » (D. Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, tome II, op.cit., p. 258). Et dans son livre Du souverain bien, Epicure soutient : « Pour moi, je ne sais pas ce que je pourrai appeler bien, si j’ôte les plaisirs de la table, de l’amour, de la conversation, et des belles choses » (Ibid., p. 216). On voit bien que la notion de bonheur chez Epicure est flexible en tant que telos (but), ou summum bonum (souverain bien). Aussi avions-nous intuitionné l’idée d’un summum bonum politique qu’Epicure placerait dans l’asphaleia (la sécurité).

[22]    Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op.cit., p. 36.

[23]    E. Hoffmann, « Epikur », in Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op.cit., p. 37.

[24]    Ibid., p. 291.

[25]    Ibid., p. 303.

[26]   Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, tome II, op.cit., p. 258.

[27] José Kany-Turpin, Lucrèce, De la nature, Paris Aubier, 1993, p. 9-10.

[28]  Lucrèce, De la nature, Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 107.

[29]  De la tranquillité de l’âme, I-10, in Sénèque, Dialogues, tome IV, texte établi et traduit par René Waltz, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 4.

[30] Sénèque, De la vie heureuse, III-3, trad. et présentation de A. Bourgery,  Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 9.

[31] Ibid., IV-3, op.cit., p. 13.

[32] Ibid., XIII-2, op.cit., p. 29.

[33] Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, tome II, Robert Genaille, op.cit., p. 222.

[34] Sénèque, De la vie heureuse, XIII-5, op.cit., p. 31.

[35] Ibid., XXI-3, op.cit., p. 53.

[36] Sentence 43, in Epicure, Lettres et maximes, trad. M. Conche, op.cit., p. 259.

[37] Sénèque, De la vie heureuse, XXIII-2, op.cit., p. 55. 

[38] Ibid., XXVI-1, p. 65.

[39]  Mario Meunier, Marc-Aurèle, Pensées Pour Moi-même, Paris, Flammarion, 1964, p. 15.

[40] Pierre Grimal, Sénèque, éd. Fayard, 1991, p. 15.

[41]Ibid., p.19.

[42]Pierre Grimal, Sénèque, op.cit., p. 148.

[43] Guy Achard, que sais-je ? Néron, Paris, PUF, 1995, p. 3.

[44] Sénèque, De la tranquillité de l’âme, précédé d’un essai de Paul Veyne, trad. du latin par Colette Lazam, Paris, Petite Bibliothèque Rivages, 1988, p. 11.

[45] Paul Veyne, op.cit., p. 15.

[46] De l’oisiveté, I-1, in Sénèque, Dialogues, tome IV, René Waltz, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p.113.

[47] Sénèque,  De la tranquillité de l’âme, précédé d’un essai de Paul Veyne, trad. du latin par Colette Lazam, op.cit, p. 178.

[48] Pierre Grimal, Sénèque, op.cit., p. 207.

[49]  Ibid., p. 214.

[50]  Epicure, Lettres et maximes, maxime XXI,  trad. Marcel Conche, op.cit., p.237.

[51]  Ibid., Sentence 67, p. 265.

[52]  Sénèque,  Pierre Aubenque et Jean Marie André, Paris, Seghers, 1964, p.122.

[53] Pierre Grimal, Sénèque, op.cit., p. 215.

[54] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, 1999p. 199.

[55] Plutarque, stoic.repugn, 1033 A-C, trad. D. Babut, in Valéry Laurand, La Politique stoïcienne, Paris, PUF 2005, p. 122. Ces mots derniers de cet excellent passage : « avec les écrits et les discours d’autres gens », permettent de suggérer in fine que les stoïciens venaient s’abreuver dans l’épicurisme, dans la suavité de leur otium.

[56] André-Jean Festugière, Epicure et ses dieux, Paris, PUF, 2006, p. 343.

[57]  Lettre à Ménécée §128, in, Epicure, Lettres et maximes, trad. M. Conche, Paris, PUF, 2005, p. 221.

[58]  J.F Balaudé, Dictionnaire des Philosophes, de l’antiquité à la renaissance, Paris, Ellipses 2002,  p. 203.

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